It starts to feel like tea time. We are in the late afternoon of a scorching October day, which is common on this side of the Mediterranean Sea.
Mongia, a family friend, holds a terracotta vessel in her hands that seems to come from nowhere. It is filled with with charcoal and the twigs of olive branches, which a woman piles up on her doorstep in anticipation of baking bread. A hint of light and the fire starts to catch. Mongia cautiously unfolds a cloth. Enclosed within it is a mix of dry plants, spices, rocks and crushed crystals. With a quick, precise movement she lays down a part of it in the burning hearth. Above the smoke cloud I observe her mumbling words, turning her hands in the air in two or three movements before seizing the kettle and placing some mint inside. The ritual is about to finish, the bad energy and the black eye have now been pushed away, the preparation of the tea can start.
This small ceremony takes place in Bir Bouregba, a little town of Tunisia that my sister Sofia has chosen to call home. For those who have grown up in the North African culture, this ritual is nothing new or folkloric. It is the reflection of a strong heritage that melds spirituality and food. Each day the act of cooking, as well as eating, is honoured through symbolic practices. For instance, if someone passes away, their family will not cook for few days and even more will avoid making bread. During the celebration of the Berber new year, we avoid consuming wet foods in order to beckon rain and repel the drought in the upcoming year. There are even more when it comes to the religious customs practiced in Judaism and Islam around the country.
Since childhood I have always been surrounded by this superstitious food world. Born in Paris and raised by my Algerian parents, for as long as I can remember my daily culinary experiences have always been influenced by customs, sacred food, fables and legends from around the table. Orchestrated meals, ritual fasts, magic. It is crazy how many years you might need to finally take notice of your own culture’s culinary heritage. When I was young I was invited for dinner at friends’ places, I could naturally see that the food “rituals” corresponded to a very different rhythm that in my family. For a very long time I was not able to see the beauty of the heritage I was given.
Between the ages of nine and ten years old, I built strategised ways to to estrange myself as much as possible from this culinary culture. Because the daily magic manifested itself on the plate, the pronounced smells and tastes of the dishes stuck strongly to my child body. It followed me to school and I was mocked by other kids. At the time, I was one of the only children from a mixed culture. My clothes smelt of grilled meat, my hair emanated a fragrance of spices and wild herbs. If I had the choice at a restaurant between a North African or a Western meal, I chose the latter. Sometimes I even refused the dishes prepared and simmered for hours by my parents. Those same dishes held a very different meaning for them: the link to their roots, the country of origin they had to leave. I crossed the door to a new world, which was made of restrictions and rejections to the daughter of immigrants.
You can certainly imagine the culpability and the contempt I feel nowadays as a grown woman when I look back at my adolescence. What I felt was tied to a complex colonial dynamic between France and the Maghreb countries. It endures still, this ill-defined feeling among the children of migrants. It is later, in adulthood, that I have finally reconnected with my culinary heritage.
Is it a question of maturity? Maybe. But above all, I believe it is through meetings and discussions with second or third generation immigrants that are going through similar experiences. Today, while writing these lines, I have finally recovered the comfort within. I am moved in front of certain dishes, such as my dad’s lamb and vegetables with couscous that only he knows how to cook. And between you and I, if right now I close my eyes, I remember. I recall my hands, under the table at homes I was invited to for dinner, perpetuating the rituals taught by my parents. All these years they have never ceased being here.
Un héritage alimentaire empreint de magie
L’heure du thé commence à se faire sentir. Nous sommes en fin d’après-midi d’un jour caniculaire du mois d’octobre, comme ce côté-ci de la Méditerranée en offre tant. Mongia, une amie de la famille, tient dans ses mains un contenant en terre cuite qui semble sorti de nulle part. Aussitôt, le voilà remplit de charbon et de brindilles d’oliviers que la femme amoncelle sur le pas de sa porte en prévision des cuissons de pain. En un coup de briquet, le feu commence à prendre et Mongia s’empare d’une étoffe qu’elle déplie précautionneusement. En son sein, un mélange de plantes séchées, d'épices, de pierres et de cristaux concassés. D’un geste bref et précis, elle en dépose une partie sur le foyer brûlant.
Au-dessus du nuage de fumée, je l’observe en train de marmonner quelques vocables, faire deux-trois tours avec sa main dans les airs, avant de saisir la théière pour y glisser de la menthe. Le rituel touche à sa fin, les mauvaises énergies et le mauvais œil ont été éloignés, la préparation du thé peut ainsi débuter.
Cette scène prend place à Bir Bouregba, une petite ville de Tunisie que ma sœur Sofia a élu comme lieu de vie. Cette scène, pour celles et ceux qui baignent dans la culture nord-africaine, n’a rien d’inédit ni de folklorique. Elle est le reflet d’un héritage fort qui mêle spiritualité et nourriture. Chaque jour, l’acte de cuisiner ainsi que le fait de manger s’honorent au travers des pratiques symboliques. On ne cuisinera pas pendant plusieurs jours dans la famille d’un défunt et encore moins du pain, on évitera la consommation d’aliments humides lors du nouvel an berbère afin d’invoquer la pluie pour l’année à venir et de repousser la sécheresse. Les interdits alimentaires sont également légion sur ce territoire de par la présence de l’islam et du judaïsme.
Je baigne dans ce monde de superstitions alimentaires depuis toute petite. Née à Paris de deux parents algériens, d’aussi loin que je me souvienne, mon quotidien culinaire a toujours été empreint de coutumes perchées, d’aliments sacrés et de contes et légendes partagés autour de la table. De repas orchestrés, de jeûnes rituéliques, de magie. C’est fou le nombre d’années qui peuvent être nécessaires avant de prendre conscience de son héritage culturo-culinaire. Évidemment, adolescente, je voyais bien lors d’invitations chez les ami.e.s que les dîners répondaient à une rythmique autre que celle de mon foyer familial. Pourtant, pendant longtemps, je n’ai pris conscience de la beauté de cet héritage précis.
Plus encore, à partir de mes 9-10 ans, j’échafaudais stratagèmes sur stratagèmes afin de m’éloigner autant que possible de cette culture culinaire parentale. Car si la magie se manifestait au quotidien dans l’assiette, les odeurs et les goûts prononcés des plats collaient à mes yeux bien trop sur mon corps d’enfant. Ils me suivaient jusqu’à l’école et devenaient alors sujets de moqueries. Je dénotais en tant que rare élève issus d’une double culture. Mes vêtements sentaient la viande grillée, de mes cheveux émanaient des effluves d’épices et d’herbes folles. J’ai alors franchi la porte d’un nouveau monde fait de restrictions et de rejet de cette identité de fille d’immigrés. Si au restaurant le choix m’était offert entre un plat originaire d’Afrique du Nord ou une assiette insipide de tradition dite “occidentale”, je me tournais forcément vers ce dernier. Parfois, j’en venais à refuser les plats que mes parents mitonnaient des heures durant. Ces mêmes mets qui revêtaient pour eux une tout autre saveur : celle du lien avec leur pays d’origine qu’ils avaient dû quitter.
Vous imaginez bien, aujourd’hui, la culpabilité que l'adulte que je suis ressent face à ce mépris chez l’adolescente que j’étais. Tout cela est évidemment le produit complexe d’une histoire et dynamique coloniales entre la France et les pays du Maghreb. Cela découle d’un sentiment ambiguë qui souvent perdure chez les personnes dont les parents ont emprunté le chemin de la migration. J’ai reconnecté avec tout ce pan de mon héritage culinaire sur le tard, ma vie d’adulte déjà entamée. Question de maturité peut-être. Mais surtout, je le crois, à force de discussions avec d’immigrés de deuxième ou troisième générations traversant ces mêmes questionnements que moi. Aujourd’hui alors que j’écris ces lignes, j’ai enfin retrouvé dans certains plats le réconfort qui les accompagne, je m’émeus devant eux, à l’instar du couscous aux légumes et à l’agneau de mon père, que seul lui savait si bien cuisiner.
Et puis entre nous, si là tout de suite je ferme les yeux, je me souviens. Je me remémore mes mains, perpétuant les rituels transmis par mes parents sous la table de ceux chez qui j’étais invitée. Toutes ces années durant, ils n’ont cessé d’être là.